«Structurer un club, ce n’est pas juste faire monter la première équipe»

Commençons par rappeler une évidence, que même nos plus jeunes lecteurs ne peuvent pas ignorer: Christophe Ohrel est un des meilleurs joueurs de l’histoire du football suisse. Pilier de l’aventure américaine de 1994, il compte 56 sélections avec la Nati, près de 400 matches en LNA, ainsi que deux ans passés en première division française (Rennes et Saint-Etienne, 76 parties au total). Âgé aujourd’hui de 45 ans, il est actif dans le domaine des assurances, et est devenu directeur technique du FC Forward Morges, après en avoir été l’entraîneur. Son duo avec Pierre-Albert « Gabet » Chapuisat, entraîneur depuis janvier 2013, fait régulièrement parler de lui, intriguant bon nombre de suiveurs du football vaudois.

Après un deuxième tour quasiment parfait en 2e ligue, Forward a échoué pour un point face à Dardania Lausanne dans la course aux finales, malgré huit victoires consécutives pour terminer. Cette saison, le club morgien semble favori, mais il faudra le confirmer sur le terrain. Le premier match? Un derby à Bursins-Rolle-Perroy (néo-promu), samedi, à 19h.

Christophe Ohrel, dans quel état d’esprit avez-vous terminé la saison dernière? Vos joueurs, votre entraîneur et vous étiez-vous un peu frustrés?

Frustrés, non. Déçus, oui, peut-être un peu. On a crevé au poteau, après notre très bon deuxième tour. On a fini avec 24 points en huit matches, donc on se sentait prêts pour les finales. A titre personnel, je suis convaincu que si on se qualifiait pour les finales, on montait. Tout nous réussissait à ce moment-là, on aurait passé. Mais bon, on s’est remis au travail et on espère profiter de la dynamique de cette belle fin de championnat pour bien commencer celui-là. L’objectif n’était de toute façon pas de monter.

Mais vous n’auriez pas refusé la promotion…

Non, bien sûr. On s’est fixés cet objectif sur trois ans. On aurait simplement pris un peu d’avance. Mais cette année, on peut être confiants. L’ossature de l’équipe n’a pas bougé, aucun titulaire n’est parti et on s’est renforcés. Avoir pu conserver son effectif est un avantage en début de saison, surtout à notre niveau, où les contingents bougent beaucoup. On n’a pas d’amalgame à trouver, on l’a déjà fait. On espère en profiter aussi. Cette année, on a pour but d’accrocher une des deux premières places et, donc, de disputer les finales.

Ce ne peut pas être un but en soi. Personne ne joue des finales pour les perdre…

C’est ça (sourire). On espère donc aller en finales et ne pas les perdre, vous avez tout compris. Une ville comme Morges mérite une place en 2e ligue inter. Il n’y a rien dans la région. Sur Lausanne, d’accord, mais après, en direction de la Côte, il faut aller jusqu’à Nyon. Il y a une place à prendre et on veut la prendre. Mais on a un projet sur trois ans, je le répète.

Une des facettes de ce projet est d’intégrer des jeunes de votre structure Foot Région Morges. C’est une partie de votre mission de directeur technique, on se trompe?

Non, c’est clairement une des priorités, et je trouve qu’on est en train de se structurer de la bonne manière, mais il y a un point sur lequel on doit beaucoup s’améliorer.

Lequel? 

Le passage des juniors aux actifs, qui est bien sûr un moment-clé. L’esprit de clocher entre les clubs est encore trop fort. Ce n’est pas encore assez clair que Morges doit être le club-phare. Les meilleurs doivent venir chez nous, pour plusieurs raisons. Parce qu’on est les seuls à le suivre toute l’année, déjà. Et parce qu’on est le club le plus important de ce groupement, je le répète.

Oui, mais vous n’êtes pas plus haut qu’Echichens, qui vient de monter en 2e ligue…

Oui, c’est aussi pour cela qu’on doit monter, je suis d’accord. Après, on aura une vraie pyramide, avec des clubs de la 2e inter à la 5e ligue. Ce sera alors l’idéal pour un jeune issu du groupement. Aujourd’hui, plus de 50% de notre effectif vient de Morges ou de la proche région.

Un jeune peut-il passer des juniors à un club de 2e inter? Le saut est assez grand, non?

Mon credo, c’est qu’un joueur qui sort des B Inter doit intégrer un contingent de 2e inter. Pas forcément jouer tout de suite, mais intégrer le contingent. C’est possible. En fait, cela doit être la norme pour l’avenir.

On vous sent très à l’affût concernant ces questions de formation… On vous imaginait plutôt en directeur technique uniquement intéressé par la première équipe.

Vous vous trompiez. D’autres clubs pensent comme cela, misant tout sur la première équipe, et oubliant le reste. Je pense que c’est une erreur. Un club doit avancer et se structurer un pas après l’autre. Faire monter une première équipe et ne pas suivre derrière avec la II, avec les juniors, c’est une erreur monumentale. La II est en 4e ligue cette saison, on veut la faire monter en 3e ligue. Parce qu’avoir une équipe en 2e inter, comme on veut le faire, et une autre en 4e, ce serait contre-productif. On doit grandir, tous ensemble. C’est le club de Forward Morges qui doit évoluer, pas l’équipe première. C’est le message que je veux faire passer tous les jours.

C’est facile à faire comprendre?

Stéphane Besle vient de donner une interview très intéressante dans les médias romands, où il parle de Saint-Gall, en disant que les clubs alémaniques sont mieux structurés. Il a mille fois raison. L’exemple doit clairement venir de là-bas, on doit s’en inspirer. Ils sont en avance sur nous, de l’élite à la base.

On vous a entendus une fois, alors que vous étiez pris à partie après un match, répondre à votre interlocuteur: « Vous ne comprenez pas ce qu’on peut apporter au football vaudois ». Que vouliez-vous dire par là?

Dans le canton de Vaud, je trouve que pas mal de gens sont jaloux des personnes qui ont fait quelque chose. Regardez au LS actuellement. Combien d’anciens joueurs sont actifs au club? Quelques-uns à Team Vaud, Alexandre Comisetti, Marc Hottiger… Mais sinon? Allez voir à Berne, à Bâle… Ces clubs-là ont confié des postes-clés à leurs anciens joueurs, lesquels apportent leur expérience, et je trouve que c’est une richesse pour tout le monde. Je ne dis pas que les entraîneurs de Team Vaud ne sont pas bons, je ne les juge pas. Je dis simplement qu’on ne voit pas assez ce que nous pouvons apporter au football vaudois. Et je ne parle bien sûr pas que de moi. Je le crois vraiment.

Vous prenez beaucoup de critiques autour des terrains vaudois. Comment les vivez-vous?

Oui, on ramasse pas mal, mais tant Gabet que moi, on a le cuir solide. Moi, ça ne me fait plus rien. Personnellement, plus on me critique, plus ça me donne envie d’avancer. Après, on a l’image qu’on a. Oui, il m’arrive de dépasser les bornes sur un terrain, mais on fait tous des erreurs. On est des passionnés, on ne fait pas tout juste. Mais ce que les gens peuvent dire ne me fait rien, vous pouvez me croire. Et croyez bien que si j’étais aussi pénible, les joueurs ne me suivraient pas et ne demanderaient pas à retravailler avec moi. Je n’ai de problème avec aucun joueur, vous pouvez mener une enquête. Pour moi, ça, c’est important aussi. Mais bon, on le sait, on nous tombe dessus plus que les autres.

Vous le pensez vraiment?

Un seul exemple. Lors du match contre Genolier-Begnins, il y a quelques semaines, j’aperçois un inspecteur de la Vaudoise avant le match. Je le salue, lui demande pourquoi il est là. Je pensais qu’il venait pour l’arbitre. Il me répond qu’il est venu pour inspecter les bancs de touche. Bon, pas de problème. Après une mi-temps derrière nous, je vois qu’il entame la seconde période à la même place. Je lui propose donc d’aller inspecter le banc de Genolier-Begnins, puisqu’il est venu inspecter les bancs. Il me répond timidement qu’il va y aller. A la 80e, il est toujours derrière nous! Est-ce qu’il est venu inspecter les bancs, ou un banc en particulier? Parce que ce n’est pas la même chose. Devant mon insistance et celle du président, il a fini par faire le tour du terrain, timidement… Bref, on peut penser que ce n’est pas important, mais cette anecdote est révélatrice. A Gabet et à moi, on ne pardonne rien.

Vous avez été suspendu six mois par l’ACVF…

Parlons-en, oui. En fait, j’ai été suspendu six mois pour avoir dit mon fait à l’inspecteur après le match. Six mois. Et j’aimerais juste préciser une chose: la commission d’enquête m’avait complètement innocenté. Dans le rapport, il était clairement indiqué que la commission recommandait que je ne sois pas suspendu. La Vaudoise a d’abord décidé de me suspendre une année, puis la commission de recours a fixé la peine à six mois. Voilà les faits. Et je n’ai rien fait d’autre que dire son fait à l’inspecteur. Après, chacun en pense ce qu’il veut…

Que pensez-vous de la nouvelle répartition des groupes?

Elle ne me dérange pas. Si je parle égoïstement, nous sommes au centre, donc cela ne va rien changer pour nous. Mais si je prends un peu de recul, je peux dire que cela ne fera de mal à personne. Déjà, les groupes seront plus équilibrés. Il faut le dire, le groupe 1 était en moyenne plus relevé que le groupe 2.

Vous risquez de fâcher les clubs nord-vaudois, là…

Mais c’est la vérité! Je peux le dire, on a les battus plusieurs fois l’an dernier. Ce sont des matches amicaux, d’accord. Mais il suffit de regarder le résultat des finales pour constater que le groupe 1 est globalement meilleur. Alors oui, on peut dire que le football dans le groupe 2 était plus combatif, différent. Peut-être. Mais je constate depuis des années qu’il est plus difficile d’être finaliste dans le groupe 1 que dans le groupe 2.

Les derbys vont tout de même disparaître, en tout cas certains d’entre eux…

Oui, d’accord sur ce point. Mais après, il faut savoir ce que l’on veut aussi. On peut décider d’aller tous en 3e ligue, et on aura plein de derbys. Là, nous sommes en 2e ligue, qui est le plus haut niveau du football vaudois amateur. Je fais une petite parenthèse, pour dire que l’expression « football des talus », parfois même utilisée par l’ACVF, m’irrite au plus haut point. Je trouve inadmissible de parler ainsi. En 2e ligue, on essaie de travailler juste, de structurer un peu les clubs, et on nous appelle « foot de talus ». Je dis que c’est dénigrer ce qui s’y fait. Et dans notre catégorie de jeu, beaucoup de joueurs arrivent de Team Vaud, soi-disant le « football d’élite ». Alors quoi? Ces joueurs passent du statut « élite » à « talus » en un transfert?

Le football dit « des talus », c’est aussi pour définir le football amateur, où les joueurs ne touchent pas d’argent.

Je ne connais pas un club qui ne défraie pas ses joueurs à ce niveau.

En 2e ligue?

Même plus bas. Il faut arrêter l’hypocrisie. Il y a des indemnités de déplacement, appelons cela ainsi, qui diffèrent selon les clubs. Il y a ceux qui ont plus de moyens et ceux qui en ont moins, voilà tout. Qui est aujourd’hui bénévole? Quel entraîneur l’est?

Quelle est la politique de Forward Morges à ce sujet?

Chacun de nos joueurs touche une indemnité. Celle-ci n’est pas de 1000 francs par mois, attention, mais elle existe. Et surtout, elle est versée, ce qui n’est pas forcément le cas partout, vous le savez aussi bien que moi. Par contre, je suis intransigeant. Celui qui part en vacances, il n’a rien. Celui qui rate une séance d’entraînement se voit retrancher une partie de son indemnité. C’est comme ça. Cela me fait rigoler parfois quand un joueur s’énerve parce que l’entraîneur part en vacances… Et lui, alors, il a le droit d’en prendre? Cela fait aussi partie de la structure d’un club.

Quel est votre regard sur Gabet Chapuisat? On le connaît comme entraîneur de professionnels, un peu moins d’amateurs…

Gabet, comme moi, comme Himë Berisha aussi il y a quelques mois ici, apporte un langage différent aux jeunes. Il parle autrement, c’est parfois un peu plus cru, mais c’est ainsi. Cela peut faire sourire parfois, mais ce langage-là est important aujourd’hui. On travaille dans la bonne humeur, mais on travaille. On n’est pas là pour discuter des heures.

Ce qui signifie?

Nous sommes d’une génération où on ne passe pas des heures à expliquer ses choix. Si tu joues, tant mieux. Sinon, tant pis, tu t’assieds sur le banc et tu travailles. Aujourd’hui, les jeunes ont un peu plus de peine avec ça. Il faut dialoguer, discuter… Gabet n’est pas comme ça. Celui qui veut jouer doit se bouger sur le terrain, pas ailleurs.

Certains entraîneurs ont choisi de s’adapter à cette nouvelle donne.

Disons qu’ici, ce sont plutôt les joueurs qui s’adaptent (sourire). Mais attention, ils savent qu’ils vont progresser.

Les joueurs ont-ils un respect particulier pour vous? Il n’y a pas énormément d’entraîneurs ou de dirigeants du football vaudois qui ont gagné un match en phase finale de Coupe du Monde…

Oui, au début, je peux le sentir. Et on peut encore leur montrer un ou deux trucs sur le terrain (sourire).

Jouez-vous encore?

Oui, de temps en temps avec les Seniors de Crissier.

Vous voyez-vous entraîner à haut niveau? Ou occuper un poste à responsabilités dans un club professionnel?

Non, c’est fini. Si je m’étais lancé dans une carrière d’entraîneur à haut niveau, cela aurait été en Suisse alémanique. Il n’y a que là-bas que c’est possible. Aujourd’hui, j’ai mon job d’assureur, tout va bien, je ne me vois pas repartir.

Que peut-on vous souhaiter pour cette saison? Une double-promotion?

Oui, ce serait pas trop mal, non? Monter en 2e inter et en 3e ligue la même année serait une belle réussite, mais y arriver sans travailler derrière pour faire grandir le club ne servirait à rien.

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