Si on leur avait dit, il y a dix ans…

En apparence, rien ne les réunit. Celui qui suit le football vaudois ne peut en effet pas se douter un seul instant que ces trois hommes-là se connaissent parfaitement. Gary Moret, défenseur central de Chavornay? Né dans le Nord, en Picardie. Geoffrey Cadet, défenseur central de Dardania? Il vient de la région de Troyes. Marvin Aïssi, attaquant de LUC-Dorigny? Parisien originaire du Bénin. Et pourtant, ces trois hommes-là ont un point commun qui les suivra toute leur vie, celui d’avoir partagé la même formation, à l’ESTAC, fameux club de la ville de Troyes, qui a toujours oscillé entre la L1 et L2 françaises. Une école de vie inoubliable, où ils ont appris les bases de ce qu’ils espéraient être leur futur métier, footballeur professionnel. Pour des raisons diverses, leur trajectoire personnelles les ont amenés en Suisse, sans qu’ils ne se suivent forcément de près. Rencontre dans l’appartement lausannois de l’un d’entre eux. Les rires fusent, la complicité est évidente, la bonne humeur est partout, dans toutes les conversations.

Ils y ont cru, tous trois, à cette vie de footballeur

Ces trois hommes-là, tous trois nés entre 1985 et 1986, se sont donc connus au centre de formation. Ils y ont connu les galères, les cours qui n’en finissaient pas, les sorties au supermarché du coin, les semaines loin de la famille, mais aussi les rêves de jeunes adolescents fous de football. Ils y ont cru, tous trois, à cette vie de footballeur, cette carrière fantasmée, dans laquelle la Suisse n’existe pas. Une vie de sacrifice, où rien d’autre que la progression individuelle ne compte. D’autres joueurs évoluant aujourd’hui en Suisse sont d’ailleurs passés par Troyes. Leur nom? Toumi Trabelsi et Pierre Cheminade, par exemple. Ils sont passés par les entraînements à la dure, qui leur a forgé le caractère et permis de devenir de meilleurs footballeurs, mais aussi des gagneurs, des hommes qui refusent la défaite et sont ultra-exigeants, avec eux-mêmes comme avec les autres. En cela, Gary, Marvin et Geoffrey se ressemblent. Un point commun, déjà.

Une question d’attitude

Gary, d’ailleurs, ne s’en cache pas. Il a beau jouer en 2e ligue, à Chavornay, il peine à supporter des attitudes peu en rapport avec sa conception du football. « Pour moi, des gars qui répondent à l’entraîneur, qui n’appliquent pas ses consignes, pfff… J’ai de la peine avec ça et ce n’est pas propre du tout à Chavornay, attention. » Facile de critiquer, sans se remettre en question? Peut-être, mais il a pris les choses en main et déjà entamé sa reconversion. Il entraîne en effet les A Inter d’Espagnol Lausanne, après s’être occupé des B. « C’est quelque chose qui me parle, j’aime le contact avec les jeunes, les voir progresser », explique-t-il aujourd’hui.

En France, « ceux qui ne mettent pas le pied, ne voient pas le ballon »

Marvin et Geoffrey, eux, ne partagent pas cette passion, préférant se concentrer sur le terrain. Question de mentalité, d’envie surtout. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne donnent pas tout. Geoffrey précise: « Il y a une différence entre la Suisse et la France au niveau de l’envie, on ne va pas le cacher. Allez voir des matches de ligues inférieures en France… Ceux qui ne mettent pas le pied ne voient pas le ballon, c’est tout. Il y a une agressivité que l’on ne voit pas en Suisse. Mais attention, ici, ça joue au ballon! Je pense sincèrement que les équipes de 2e ligue inter, par exemple, n’ont rien à envier aux Français sur le plan du jeu. La différence, c’est que ça durcit rarement le jeu ici, que ça ne devient jamais méchant. Je peux vous citer le nom de plusieurs joueurs que vous et moi trouvons très bon en Suisse, en 1re ligue. Mais si vous les mettez en CFA, ils ne toucheront pas une balle. » La différence est là, et elle est socio-culturelle: un jeune Helvète n’a pas besoin du football pour construire sa vie. « Mais tant mieux, d’un côté », glisse Geoffrey.

Marvin, de la Coupe du Monde M20 au FC Baden

Le premier à être venu en Suisse après ces années de formation troyennes? Marvin, le pionnier, celui qui avait peut-être a priori les meilleures chances de réussir une carrière professionnelle. « Je venais de jouer la Coupe du Monde M20 avec le Bénin, aux Pays-Bas. On était dans le groupe des Hollandais, justement. » C’était en 2005 et le meilleur buteur de la compétition s’appelait… Lionel Messi. Marvin Aïssi avait 20 ans, l’âge où une carrière décolle. Lorsque le FC Baden, alors en Challenge League, s’intéresse à lui, il n’hésite pas. Exit Troyes et le CFA2, où il jouait avec l’équipe réserve, et « Willkommen in der Schweiz »! L’allemand, facile? « Oh, l’entraîneur s’adressait à moi en français, il le parlait quand même assez bien. » De toute façon, comme partout dans le monde, c’est le terrain qui parle. Et l’adaptation se passe plutôt bien. Le jeune « Ecureuil », le surnom des Béninois à l’époque, marque 7 buts en 30 apparitions, sans être régulièrement titulaire. Pas de quoi faire exploser les compteurs, mais les débuts sont encourageants, jusqu’à ce que son corps ne le trahisse, comme toujours.

Un buteur d’avenir, plombé par les blessures

« Je crois que je n’ai jamais fait une saison sans être blessé. Je devenais fou. » Que ce soit à Baden, à Baulmes, au Locle, à Lutry, jamais il ne pourra se préparer comme il faut et réaliser une saison pleine, qui aurait pu le relancer. « Sincèrement, j’ai vite compris. Bien sûr que j’ai pensé devenir footballeur professionnel, mais quand ton corps dit non… » Il arrêtera même le football pendant quelques années, avant qu’un coup de fil de Geoffrey Cadet ne lui redonne l’envie. Celui-ci confirme: « Lutry, où je jouais, avait besoin d’un attaquant. J’ai immédiatement pensé à lui. » Loin du football professionnel, bien sûr, mais le plaisir de jouer est toujours là. Et, plus surprenant, la forme aussi! Geoffrey n’est pas surpris: « Marvin, c’est un truc de fou: vous le mettez sur un terrain, il est bon. Moi, après des semaines sans jouer, il faut que je me remette dans le rythme, que je coure un peu… Lui, non! Il est en forme tout de suite! » Gary acquiesce et Marvin se marre: « Je sais pas pourquoi, mais c’est vrai! Physiquement, je perds très peu, même sans rien faire. » Aujourd’hui, il joue à LUC-Dorigny, en 2e ligue, où il marque régulièrement, après avoir débuté la saison à Forward Morges. Le LUC et ses dirigeants lui ont proposé un apprentissage, qu’il suit avec plaisir.

Gary a été pré-convoqué pour l’équipe de France des moins de 17 ans…

Gary, lui, recherche un emploi et ne s’en cache pas: « Si je pouvais concilier le foot et le boulot au deuxième tour, je serais heureux. » Sa destinée à lui? Comme Marvin, comme beaucoup de jeunes footballeurs, il a été freiné par une vilaine blessure. « Elle est arrivée au pire moment. Je venais de recevoir une pré-convocation pour l’Equipe de France des moins de 17 ans. Un honneur incroyable. J’étais surexcité pendant des jours. » Puis est apparue la blessure, cruelle. Les mots, encore aujourd’hui, font mal: rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche. La fin des espoirs. « La rééducation a été très pénible, elle a duré six mois… » Pour son match de retour, l’ESTAC est opposée à l’AS Saint-Etienne, où il se retrouve au marquage de Bafétimbi Gomis. Un souvenir sympa, au moins.

… et a quitté la Suisse par amour!

Après avoir été prié de quitter Troyes, arrivé à la fin de sa formation et jugé trop juste pour la première équipe, il a connu une première étape à Gap, avant d’être attiré par la Suisse. « Un peu par hasard, en fait. Je savais que le FC Bex comptait beaucoup de Français. A l’époque, ils étaient en 1re ligue, bien sûr. Je les ai contactés, ils m’ont pris à l’essai et je suis resté. » Quelques mois, seulement, pas plus, même s’il a commencé à jouer sur la fin de son séjour. Pourquoi est-il revenu en France? « Par amour. Je sais, c’est bête, mais j’avais une copine et j’y croyais à l’époque. » Il baisse les yeux, Marvin et Geoffrey se marrent. « J’ai été bête, hein? » Plutôt, oui. Marvin n’en peut plus de rire: « Le pire, c’est que c’est vrai. Il m’appelait tout le temps, à l’époque! Il me parlait de ses problèmes avec cette fille, il me prenait la tête. Et il a tout lâché pour elle… » Gary le sait, il a fait une erreur et, depuis, le football n’est plus qu’un complément, au mieux, ou un passe-temps, au pire. Il aime ce jeu, bien sûr, mais ne cherche plus à le pratiquer comme un pro ou un semi-pro. « J’ai lâché dans la tête, ce qui ne m’empêche pas d’être tout le temps à fond sur le terrain. » L’engagement, on y revient. Les étapes suivantes? Epalinges, la II de Forward Morges, Chavornay… Clairement, cet élégant défenseur central a raté quelque chose, et il le sait pertinemment. « Marvin a été coulé par les blessures, moi par l’amour. »

Geoffrey, le plus stable du trio

Et Geoffrey Cadet, dans tout ça? On a peu parlé de lui jusqu’ici, mais il est celui dont la carrière a été la plus régulière. Il est sans doute le plus posé des trois, le plus stable aussi. Sa vie aujourd’hui? « Je travaille à la Poste, j’ai toujours aimé me lever le matin. Aucun souci de ce côté-là ». Ce qui n’est pas toujours le cas de tous les footballeurs… Arrivé en Suisse au Mont, un jour d’été, il a construit sa carrière, toujours dans le football régional d’élite, entre la 1re ligue et la 2e ligue inter. Ses clubs? Après Le Mont, il a connu Monthey, Renens, Lutry et désormais Dardania. La 2e ligue inter, il connaît, et il apprécie, y ayant trouvé un rythme de vie en adéquation avec la pratique du football. « Pourquoi c’est moi qui me suis le plus imposé en Suisse, si l’on peut dire? Je ne sais pas vraiment. Il y a une part de hasard, mais chacun a sa trajectoire ».

Pour construire la sienne, il a dû prendre une décision forte. « Oui, j’ai décidé de quitter Troyes, c’est vrai. Je venais de passer quatre saisons avec l’équipe réserve et ils ne me proposaient rien avec la première équipe. Au bout d’un moment, ne voyant rien venir, j’en ai eu marre et je suis parti. Mon père m’en fait encore le reproche aujourd’hui, il me dit que j’aurais dû m’accrocher. L’avenir peut lui avoir donné raison, car après mon départ, le club a eu des problèmes financiers et des jeunes avec qui j’étais ont eu leur chance avec l’équipe première. Mais on ne saura jamais. Moi, je suis convaincu que j’ai pris la bonne décision. » Il a joué de malchance, aussi, puisqu’à chaque fois qu’il était appelé avec les pros pour s’entraîner, une petite blessure le freinera. Le destin, peut-être, ce traître.

Non, les trois adolescents n’avaient pas imaginé leur vie ainsi

Leur trajectoire commune, mais non concertée, les a donc amenés en Suisse, loin de leurs rêves d’adolescents. Si on leur avait dit, il y a un peu plus de dix ans, qu’ils se retrouveraient tous trois dans un appartement lausannois, à parler de leur vie et de leur carrière dans les ligues inférieures suisses, pas sûr qu’ils l’auraient cru… Tous trois rigolent à cette idée, et se replongent un instant dans le quotidien du centre, lorsqu’ils atomisaient Auxerre 5-0 ou défiaient le PSG et l’OM. Non, ils n’avaient pas imaginé leur vie ainsi, c’est sûr, mais au final, elle leur convient plutôt bien.

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