Les quatre vies de l’épatant Boubou Ouattara

Lorsqu’on a créé ce nouveau média, notre ambition première était de rencontrer, par ce biais, des gens sortant de l’ordinaire. Nous étions convaincus que, dans ce canton de Vaud, de belles histoires existaient et ne demandaient qu’à être racontées. Celle de Bourama « Boubou » Ouattara mérite une attention particulière. Avant de le rencontrer, nous en savions les grandes lignes, de l’enfance parisienne jusqu’à Bavois, en passant par la Grèce durant quatre années.

Assis avec lui pour un café, il nous a conquis en nous expliquant, toujours avec beaucoup d’humour, par où il est passé. Son existence a été marquée par des personnages singuliers, lesquels, tour à tour, l’ont aidé à construire son histoire. Son père, déjà, figure autoritaire du patriarche africain, mais aussi sa mère, qui l’a couvert lorsqu’il est allé en cachette faire démarrer sa carrière à Croix-de-Savoie (qui deviendra Evian-Thonon-Gaillard), à 550 kilomètres de la maison. Autres personnages importants, Pascal Dupraz, l’actuel entraîneur de l’ETG, et Souleymane Cissé, l’entraîneur de la réserve de Monaco, que Boubou rejoindra à moyen terme à Abidjan pour s’occuper de son institut dédié aux jeunes footballeurs ivoiriens.

« Boubou », aujourd’hui heureux au FC Bavois, nous raconte tout, entre les anecdotes du début, la folie des Grecs pour le football et sa vie en Suisse. C’est long? Oui, mais c’est bon.

L’enfance à Paris

Je suis né dans le 18e arrondissement, à la Porte de Saint-Ouen. Mes deux parents sont Ivoiriens, mon père est un fou de boulot, je l’ai toujours vu en train de travailler. Il avait deux boulots, un le jour et un la nuit. Il partait de la maison à 23h, il commençait à minuit. Il revenait à 7h, il dormait jusqu’à 12h. Ensuite, il partait au boulot à 13h et revenait en soirée. Il regardait un coup TF1 en mangeant et repartait bosser à 23h. Je ne l’ai jamais vu faire autrement! Je suis Français, né en France, mais de culture et d’éducations ivoiriennes. Disons qu’à l’école j’étais Français, mais quand j’arrivais chez moi, c’était l’Afrique (rires). Je suis à cheval entre les deux, on va dire. Je suis le deuxième de la fratrie. J’ai encore une petite soeur et mon petit frère Tanfol, que vos lecteurs et vous connaissez bien.

Un essai réussi à l’AJ Auxerre, mais…

Je jouais au foot à l’ES Parisienne, dans le 18e arrondissement, près de chez moi. Un jour, à 16 ans, j’ai eu la possibilité d’aller faire des tests à l’AJ Auxerre grâce à un homme qui avait fait le lien. On était 500 et à chaque tour, ils en éliminaient la moitié. Je suis allé jusqu’à la fin! 250, 100, 50, 15… Pour finir, on a joué contre leur centre de formation et à la fin, les responsables sont venus me dire que je les intéressais vraiment. J’étais comme un fou! Auxerre! Même Guy Roux m’avait remarqué! Ils me proposaient d’intégrer leur CFA et moi, je rêvais de ça. Mais le type qui était avec moi a tout foiré, vraiment. Moi, je ne voulais même pas d’argent, mais le type a commencé à causer d’indemnités, de trucs, de machins… Les gars à Auxerre, ils se sont dit: « Ok, le petit Parisien, il a même pas commencé, il y a déjà des problèmes avec lui. Salut! » J’ai pleuré un mois (rires). Je rentrais à la maison, je pleurais, j’allais à l’école, je pleurais. J’étais dégoûté.

Le Red Star, club mythique

Ensuite, j’ai eu des touches avec Laval, qui était en Ligue 2, et pour me mettre en valeur, je suis allé à l’AC Boulogne-Billancourt, qui est un bon club pour les jeunes. J’ai pas mal progressé là-bas, et le Red Star est venu me chercher. Attention, le Red Star, ça ne parle peut-être pas en Suisse, mais c’est un gros club, très prestigieux. En région parisienne, c’est le top. J’avais 18 ou 19 ans et je jouais avec la Une, c’est quelque chose. Le Red Star a une histoire, des supporters, une vraie identité. Quand vous rentrez chez vous et que 2000 personnes ont crié votre nom parce que vous avez été bon, ça fait quelque chose. On est montés de DH en CFA2, c’était de la folie. Ce sont vraiment mes débuts dans le foot. Ca a beau être de la DH, ça jouait au foot, et le Red Star, c’est comme Saint-Etienne, c’est un club mythique.

Croix-de-Savoie le repère

Je suis dans un café avec des amis, tranquille, lorsqu’on fait la connaissance d’un homme, qui avait l’air d’être dans le milieu. On parle de football et il nous demande où on joue. Je lui dis que je suis au Red Star et il me dit: « Ben justement, ce week-end, je dois venir visionner un petit milieu gauche qui cartonne. » Je lui dis que c’est moi et là, le mec me demande mon nom, sort une coupure de journal qu’il avait, et me dit: « Mais oui, c’est toi! » Là, il me dit qu’il bosse pour un club de National, que l’entraîneur cherche un gars de mon profil et qu’il vient pour me voir ce week-end. Au fond de moi, je me méfie un peu, je me dis que le type est un vendeur de rêve, mais je n’ai rien à perdre. Le jour du match, je casse tout. Des crochets, des dribbles, des frappes, la totale. Le mec me dit qu’il va convaincre l’entraîneur, que je suis ce qu’il faut. De nouveau, je me dis: « Cause toujours. » Et là, tout d’un coup, je vois mon téléphone qui sonne, alors que je suis à l’école. Je le rappelle à la pause, c’était le type en question, qui me dit que Croix-de-Savoie et Pascal Dupraz m’attendent pour l’entraînement du vendredi. On était mardi ou mercredi, je devais aller à Annemasse. Depuis Paris, c’est pas la porte à côté, hein!

Le prof qui a tout changé

Là, c’est clair que je ne savais pas quoi faire. C’était l’occasion de relancer ma carrière professionnelle, mais en même temps, j’étais bien dans ma petite vie. Je n’étais pas un ambitieux prêt à tout claquer pour le foot, même si j’adorais ça. Je suivais une école de décorateur d’intérieur qui me plaisait beaucoup. On pouvait gagner des sous en allant chez les clients. Régulièrement, on recevait 1500 euros, par exemple. J’aimais bien, décorateur d’intérieur c’était vraiment la classe. En plus, le directeur de l’école m’aimait bien. Bon, sincèrement, je savais pas quoi faire. Je ne pouvais pas courber l’école comme ça. Alors, le jeudi soir, je vais vers mon prof de maths, un type en or. Je lui dis tout. Là, il me regarde et me dit: « Moi, à ta place, j’aurais foncé. Vas-y. Si ça ne se passe pas bien, tu reviens. » Un prof qui dit ça! Là, j’ai su que je devais y aller. Aujourd’hui, des fois, je me dis que ma vie a tenu à cet instant. Si le prof m’avait engueulé ou découragé, je ne serais jamais allé à Annemasse. Enfin, je crois (sourire).

L’inconnu du trio

Croix-de-Savoie? Ca a mal commencé (rires)! En fait, le contact que j’avais, le type du bar, me dit que je dois ramasser deux joueurs à Paris, deux internationaux juniors congolais et haïtiens. J’ai vite compris que j’étais dans la valise, en supplément. La preuve, en arrivant à Annemasse. Pascal Dupraz nous accueille, il salue les deux autres et dit: « Vous deux, je vous connais. Mais toi, t’es qui? » Là, je me suis dit, ok, c’est la merde, on m’a menti depuis le début. Le type qui m’a amené bafouille au téléphone, Dupraz comprend tout et dit: « Bon, ok, t’existes, t’es là, t’as conduit depuis Paris, tu restes un jour et on verra bien. Allez à l’hôtel. » On arrive, on prend nos chambres, on demande pour les repas. Et là, on nous dit que les repas ne sont pas compris dans la réservation. Je regarde dans mes poches. Avec l’essence depuis Paris, il me restait 80 euros. Les deux autres n’avaient pas un euro, pas un centime. Du coup, on est allés dans un supermarché, on a acheté des carottes rapées, ce genre de trucs, afin d’avoir quand même mangé quelque chose pour l’entraînement.

Sa mère le couvre vis à vis de son père et de l’école

Première séance avec le groupe, je donne tout. Je ne le savais pas, mais Pascal Dupraz adore ça. Lui, il aime que ça mouille le maillot, que ça tacle, que ça s’accroche. Je lui ai tout de suite plu, je l’ai su après. Mais attention, ce n’est pas un mec qui va te couvrir de compliments, hein! Avec lui, tu dois mériter chaque mot. Il vient vers moi et me dit: « T’as gagné ton billet pour revenir demain. » Le lendemain, de nouveau à l’entraînement, je donne tout. Il me redit: « Encore un jour de plus ». Troisième entraînement, je regagne un jour. Ca fonctionnait comme ça, avec lui! Mais le problème, c’est que pendant ce temps, je manquais l’école et que je n’étais pas à la maison! Je n’avais rien dit à mon père, il pensait que j’étais à l’école, mais ma mère était au courant. Mon père, de toute façon, il ne voyait rien, il rentrait pour dormir le matin quand j’étais à l’école, donc que je sois là ou pas, ça ne changeait rien à sa vie. Ma mère a quand même fini par lui dire que j’étais parti en voyage avec le Red Star et en même temps, elle était allée vers les médecins du quartier pour leur demander des certificats médicaux pour l’école! Ma mère savait tout, elle me couvrait auprès de l’école et auprès de mon père, mais je ne sais pas ce qui était le plus compliqué (rires).

« Avec les cinq euros, on a acheté du pain de mie… »

Après trois entraînements réussis, Pascal Dupraz me dit: « Ok, petit, tu joues le prochain amical contre Bastia. » Contre Bastia! Mais moi, ces mecs je les voyais à la télévision! Je me dis: « Boubou, tu dois tout arracher. » Mais le problème, c’est qu’il me restait 5 euros et que je devais me nourrir, moi, mais aussi le Congolais et l’Haïtien. On n’osait rien dire. Ca paraît fou, mais mettez-vous à ma place. J’avais de la fierté et je serais allé vers qui? Un autre joueur? J’étais en test, je fermais ma gueule. Alors, avec les cinq euros, on a acheté du pain de mie… Du pain de mie! Avant de jouer un match contre une équipe professionnelle, qui allait peut-être décider de ma vie! Bref, ce match contre Bastia arrive et je cours dans tous les sens. Je sors à la mi-temps, j’étais lessivé. Cuit! Je ne pouvais plus marcher. Dupraz vient vers moi, je me dis qu’il y aura peut-être un compliment, quelque chose.. Vous savez ce qu’il me dit? « Ok, t’as gagné ton billet pour une semaine de plus. Mais la semaine prochaine, il y a un autre match amical, contre Châteauroux. Tu devras donner deux fois plus que ce que tu viens de faire si tu veux rester ici. » J’étais mort de fatigue et il me dit ça!

La rencontre avec Souleymane Cissé

Là, on commençait à ne plus avoir rien du tout à manger. Quand je dis « rien », c’est « rien ». Je prends mon courage à deux mains, bien obligé. Ca faisait 10 jours que j’étais là, les 80 euros étaient un vieux souvenir. Un des joueurs était un Ivoirien, Souleymane Cissé, qui allait devenir un ami très proche. Je m’approche de lui et je lui dis tout. Là, il devient fou! « Comment? Toi, un petit Ivoirien, mon petit frère, tu ne manges pas et tu ne me dis rien, alors que tu es sous mes yeux? Mais tu es fou, toi? Complètement fou! » Il me fout une bordée! Il me prend par le cou, on va vers Pascal Dupraz qui me regarde et me dit: « Mais tu as mangé quoi ces derniers jours? Avant le match contre Bastia, par exemple? » Je lui dis la vérité: « Trois bouchées de pain de mie. » Il m’a dit que j’aurais pu crever sur le terrain, que j’allais m’évanouir, que j’étais complètement à la masse. On est arrivés à l’hôtel le soir, on avait tous les repas compris. Là, vous pouvez me croire, on s’est servis comme il faut au buffet (rires)!

Pascal Dupraz s’engage personnellement pour lui

Contre Châteauroux, j’ai mis le feu comme pas permis. Là, c’était clair, Croix-de-Savoie me gardait. Toute la question était: avec un contrat amateur ou un contrat professionnel? Toutes les décisions se prenaient par un collège, dont faisait partie Pascal Dupraz. Il ne décidait pas de tout. Aujourd’hui, vous le savez, le club est en L1 et s’appelle Evian-Thonon-Gaillard. Ils étaient dans leur ascension. Bref, 12 personnes devaient voter pour chaque décision importante et l’engagement d’un joueur en était une. C’était sûr que j’allais signer, car Pascal Dupraz prenait les décisions sportives. Mais pour le contrat, il fallait passer par cette sorte de comité. Il y avait Cédric De La Loma, qui arrivait de Monaco. Lui, c’était vite vu: contrat pro, 12 sur 12! Et le petit Boubou Ouattara? 1 sur 12! C’est Souleymane qui m’a raconté, bien plus tard. Onze personnes ne voulaient pas me mettre sous contrat, le seul qui voulait, c’était le coach Dupraz. Il leur a dit: « Vous ne comprenez rien! Le petit, là, il va être très bon. Avec moi, il est titulaire, et si vous n’arrivez pas à comprendre, je le paie de ma poche. Vous ne voulez pas qu’il soit pro, vous allez le regretter quand un gros club viendra le chercher ». Il bossait aux Nations Unies, en plus du foot, il avait les moyens de me payer, mais quand même! Au Red Star, je touchais environ 500 euros par mois, plus les primes de victoires de 100 ou 150 euros. A Evian, j’étais à 800, plus les mêmes primes. Pas une grosse différence, mais je m’en foutais, j’aurais pu y aller gratuit. Pro ou pas, c’était déjà tellement un rêve. Le plus dur, ça a été de l’annoncer à mon père et à l’école (rires).

« Je pensais que mon père allait me couper la tête! »

Ma carrière a décollé là. En un tour avec Croix-de-Savoie, j’ai joué 15 matches et marqué quatre buts. J’enflammais ce côté gauche, je vous promets. J’avais une telle rage. Je compensais avec l’envie le fait que je ne sois pas passé par un centre de formation. Je voulais me montrer, crier aux gens que le petit Ouattara, c’était quelqu’un. Et un jour, on va jouer contre l’Entente Sannois Saint-Gratien, un club très ambitieux de National, tout près de Paris. On était le petit, ce jour-là, je vous promets! On arrive au match, et là, je vois 50 à 60 personnes de mon quartier, mon petit frère Tanfol et… mon père! Je ne l’avais pas vu depuis des mois! Depuis que j’avais signé à Evian, je n’étais pas rentré à la maison. Ma mère lui avait dit, bien sûr, mais quand je l’ai vu, j’ai eu peur. Je me suis dit: « Boubou, il va te taper devant les gens », t’es foutu. Je suis allé vers lui et il m’a juste dit en me serrant la main: « Fils, tu as choisi le football. Fais-le, mais fais-le bien. Va à fond. » Ca m’a ému aux larmes. Moi qui pensais qu’il allait me couper la tête! Pascal Dupraz s’est approché, il m’a dit: « Boubou, c’est ton père? » J’ai répondu que oui. Le coach lui a alors dit: « Monsieur, votre fils a posé un pied sur la première marche de sa carrière. Il n’est pas encore footballeur. Il faut qu’il lève le deuxième pied et qu’il le pose. Là, il aura réussi. » Il était toujours franc, ça a plu à mon père. Bref, le match commence et moi, je suis boosté! A bloc! Un centre venu de la droite, le défenseur rate le ballon et moi, je lobe le gardien. 0-1, Boubou Ouattara! Je m’en rappellerai toute ma vie. Après le match, j’avais tous mes amis autour de moi, c’était de la folie. Coach Dupraz me dit: « Nous, on rentre à Evian, mais toi tu peux rester sur Paris. Amuse-toi bien, tu reviens lundi. » Là, le week-end, je peux pas vous raconter, j’étais le Roi du monde (rires).

Châteauroux, 7500 euros par mois

Je commençais à avoir une jolie cote. A 20 ans, en National, tout de suite titulaire… Ca commençait à s’intéresser à moi. Et je signe à Châteauroux, en Ligue 2. Pascal Dupraz est allé voir les membres du comité et leur a dit: « Voyez, j’avais raison. Le petit Boubou est amateur, il peut partir gratuitement. » Evian n’a rien touché pour mon transfert. C’est injuste? C’est la loi du foot. Moi, j’ai touché mon premier vrai contrat. 7500 euros par mois, plus l’appartement et la voiture. Là, j’étais un vrai joueur de football, bien en L2. J’étais en concurrence avec Bakary Sako et Alharbi El Jadeyaoui pour le poste de milieu gauche. Je me suis blessé, je suis revenu, mais les deux autres m’étaient passés devant. J’ai été prêté à Beauvais, en National, où j’ai été bon. De retour à Châteauroux, j’étais prêt à me battre, mais ils m’ont dégagé le 27 ou 28 août, à deux jours de la fin du mercato… C’est le foot, hein, pas de cadeaux! J’avais trois jours pour me retourner et là, on m’a proposé la Grèce. J’aime le foot, j’aime l’aventure, j’ai dit oui.

Le départ en Grèce

Au début, je voulais juste aller voir. On m’a parlé d’un club de deuxième division, qui voulait monter. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Quand je suis arrivé, j’ai adoré. Des installations au top, un joli petit stade. J’ai commencé à l’Ethnikos Le Pirée, qui est le « vrai » club historique du Pirée. Au début, il n’y avait qu’un seul club, puis il y a eu une scission et l’Olympiakos a été créé. Mais l’Ethnikos a longtemps résisté, avant de couler. J’ai adoré jouer là-bas, les Grecs aiment vraiment le football. Au niveau argent, c’est… différent. Quand je suis arrivé, j’ai convaincu l’entraîneur et le président. Il m’a dit: « Tu veux combien? » Mais moi, je ne savais même pas quoi lui répondre. « Je suis venu avec mon agent, il faut voir… », que je lui réponds. Il s’énerve: « Tu veux combien? » J’ai fini par demander la même chose qu’en France, il m’a dit ok tout de suite. Donc, oui, j’ai bien vécu, même si ce ne sont pas des salaires démesurés dans le milieu du football.

La corruption en Grèce, une réalité

En Grèce, le seul truc choquant, c’est la corruption. Je l’ai évidemment vue de mes yeux. Il est arrivé qu’avant un match, le président me dise: « Aujourd’hui, Boubou, tu ne joues pas. Tiens 300 euros, va faire un tour de la ville, promène-toi au bord de la mer et viens regarder le match en loge. » Bon… Tu viens au match, et tu vois ton gardien relâcher un ballon anodin à la 89e et on perd 0-1… L’arbitrage, c’était quelque chose de fou aussi. Tu fais 1-1 et tout d’un coup, tu obtiens un penalty, personne ne sait pourquoi et tu gagnes! Sincèrement, j’ai vécu de ces trucs… Le président de l’Olympiakos est omnipotent dans le monde du football grec, ce n’est pas un scoop que je vous livre. Il y avait toujours cette rivalité avec l’Ethnikos et j’ai vite compris qu’on ne monterait jamais en première division. Il y a des trucs, c’était gros.

« La femme du président, complètement cocaïnée, qui voulait me sauter dessus… »

Après un petit séjour sans intérêt au Portugal, à Naval, je suis revenu en Grèce. J’ai joué pour quatre clubs différents, toujours en deuxième division. Franchement, des belles années. Je jouais régulièrement, j’étais apprécié, l’argent tombait plus ou moins régulièrement. Il y a juste mon dernier club, c’était de la folie. J’étais à Panahaiki. 12’000 personnes à chaque match, une ambiance de fou. Tu ne t’entends pas parler. Mais vraiment! Ca gueule, ça lance des fumigènes, les gamins courent autour du terrain. Les Grecs, ce sont des allumés complets, quand on parle de foot. Je passe deux ans là-bas, de 2011 à 2012. Le président, c’était un mec comme dans les films. Il me fait venir chez lui, une immense villa avec une piscine que tu n’as jamais vu nulle part… Sa femme dans le salon, complètement cocaïnée, qui me saute dessus et voulait m’embrasser. Non mais la folie, je vous jure. Un autre monde. Ce type était fou. Milliardaire, mais un sale type. La seule chose qui l’intéressait, c’était le malheur des autres.

Le départ, sur fond de salaires impayés

En juin 2012, à la fin du championnat, je vais vers le président, justement. Il ne m’a pas payé depuis deux mois et j’avais des primes à l’objectif, au nombre de matches joués, ce genre de choses. Il me devait quelque chose comme 30’000 euros. Je vais vers lui et là, il me dit: « Je ne te paie pas. » Quoi, tu ne me paies pas? Le stade est plein à chaque match, 12’000 personnes, on a atteint les objectifs, j’ai mon salaire à toucher. T’es fou ou quoi? Là, il me répond tranquillement: « Non, je te paie pas. Pas envie. Allez, dégage. » Déjà, les sous, il les avait, mais surtout, ce n’est même pas son argent qu’il devait me donner, mais celui du club! Le stade était tout le temps plein, hein! Je commençais à avoir l’habitude de la Grèce, ce n’était pas une surprise, mais quand même, merde! Là, je lui dis: « Ok, tu m’as saoulé, donne-moi juste ma feuille de libération. Le fric, ok, je l’aurai jamais, mais laisse-moi partir ». J’avais des clubs de première division chypriote qui me voulaient, avec une prime à la signature, je m’en serais sorti. Et ce mec me dit: « Non. T’es un bon joueur, tu restes. Tu seras capitaine! » Le foutage de gueule intégral! Tu ne veux pas me payer, mais tu me forces à rester? Ok, j’ai pas le choix, mais je joue pas. Je fais le forcing. La saison commence, juillet, août, septembre, octobre… Je ne joue pas. Les transferts sont terminés, mais je suis là, je m’entraîne, je fais les amicaux. En octobre, il me signe ma feuille de libération, je me barre le plus vite possible. Là, c’est bon, la Grèce, j’en avais marre (rires).

La serveuse grecque n’a toujours pas compris…

Ah, ça c’est sympa, oui (rires)! J’ai appris le grec. En quatre ans, c’est un minimum! Je me fais bien comprendre et je peux tenir une conversation, ou en tout cas très bien la suivre. L’autre jour, on était au restaurant, à Etoy, avec les collègues de boulot. J’ai remarqué que la serveuse avait un petit accent, comme seuls les Grecs en ont. Je lui ai demandé d’où elle était, elle m’a justement répondu, comme je m’en doutais, qu’elle était grecque! Je lui ai alors parlé dans cette langue, lui ai demandé comment elle s’appelait, si elle allait bien… Elle a fait une tête pas possible! Vous imaginez, en plein coeur de la Suisse romande, un Black qui lui parle en grec, elle hallucinait (rires). Elle m’a demandé comment c’était possible, je ne lui ai rien dit, juste qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Je vais être obligé de retourner manger là-bas pour lui expliquer, parce que je pense qu’elle se pose encore aujourd’hui la question!

L’arrivée en Suisse via son petit frère, Tanfol

Après la Grèce, j’étais retourné à Paris. Je bossais chez un copain et financièrement, j’étais bien, pas de souci. J’avais quelques propositions, en National, en CFA… Rien qui m’enthousiasmait vraiment. Et un jour d’hiver, Tanfol, qui était à Portalban, me dit de venir le voir. Là, il me parle de Fribourg, qui était en Promotion League. Je me dis « Pourquoi pas…? ». C’était l’occasion de me rapprocher de lui. L’entraîneur était John Dragani. Après un test, il m’a dit que pour lui c’était bon, que je devais voir avec le directeur sportif. Et là, le mec en question m’a fait un coup, il a pris deux jeunes d’YB, alors que tout était réglé. Six mois après, Fribourg était relégué, et j’y signais. On a fait une super année, en atteignant les finales de 1re ligue alors que personne ne misait sur nous. Moi, j’étais sûr depuis le début qu’on allait y arriver. On est tombés logiquement face à Xamax, mais on les a fait douter!

Fribourg ne pouvait plus, ou ne voulait plus

Je serais bien resté à Fribourg, mais j’avais envie de me stabiliser. Je ne travaillais pas là-bas, et je gagnais suffisamment pour vivre, mais j’avais envie d’un boulot, d’un peu plus. Je leur ai proposé cela et ils m’ont dit que ce n’était pas possible, qu’ils voulaient donner une identité plus locale à l’équipe. J’ai compris que c’était le moment de partir, mais je ne regrette pas du tout l’année passée là-bas.

L’arrivée au FC Bavois

Après Fribourg, il me fallait quelque chose. Tout était quasiment réglé avec le FC Granges, j’allais aller là-bas. Et puis, Jean-Luc Rapin, le président du Stade Payerne, que je connais bien, a appris que j’étais libre. Il m’a tout de suite dit qu’il allait appeler son ami Jean-Michel Viquerat. Il s’est montré tout de suite intéressé, et Bekim Uka aussi. M. Viquerat m’a demandé ce que je voulais, je lui ai répondu que je voulais me stabiliser, travailler. J’arrive sur mes 30 ans, je suis lucide, je sais que ma carrière de joueur est derrière moi et que je ne vais plus en vivre. Il m’a demandé trois semaines pour tout régler. Et, exactement trois semaines plus tard, tout était clair, en ordre, j’étais un joueur du FC Bavois.

Le boulot, pas un problème

Je travaille chez un partenaire du club, tout se passe bien, j’ai un boulot de magasinier très sympa. C’est sûr que le soir à l’entraînement, je suis un peu plus fatigué, la récupération n’est pas la même. C’est clair que ça change quelque chose sur le terrain, mais je suis en train de m’habituer. Cette nouvelle vie me plaît bien, j’ai du plaisir à me lever le matin, vraiment. C’est la transition qu’il me fallait et j’ai toujours aimé travailler, même quand j’étais plus jeune.

L’avenir se passera en Côte d’Ivoire, au Cissé Institut

D’ici quelques années, je serai à Abidjan, c’est sûr. Souleymane a ouvert le Cissé Institut Football Club et c’est un projet dont j’ai envie de faire partie. Vous savez, j’ai vu de mes yeux des choses intolérables qui se sont passées avec de jeunes Africains, abandonnés en Europe par des agents malhonnêtes. Cet institut existe déjà, il fonctionne bien. On offre aux jeunes Ivoiriens des conditions dignes d’un vrai centre de formation. On veut les accompagner dans leurs démarches et leur offrir un vrai suivi, pas juste former des joueurs et gagner de l’argent sur leur dos. Mon avenir est là-bas, mais je ne peux pas encore vous dire si ce sera demain ou après-demain. C’est pour cela que j’y retourne régulièrement. J’y étais encore cet hiver, je viens de rentrer d’ailleurs. Le choc thermique était assez sympa quand on est arrivés à l’aéroport (rires).

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